Cette histoire a été initialement publiée dans Coopoint, le magazine phare de la Maison de la Coopération du Montréal métropolitain (MC2M). MC2M est une coopérative de solidarité qui agit en tant que lieu de convergence et d’influence pour les coopératives et les organisations à vocation sociale qui œuvrent pour servir leurs membres, la communauté et les quartiers environnants.
Par Brittanie Sullivan
Entrevue avec Pascal Bédard, de HEC Montréal.
Le grand public ne connaissait pas grand chose sur le système SWIFT avant la guerre en Ukraine. Encore moins le fait qu’il s’agissait d’une coop ! La Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), dont la création remonte à 1993 en Belgique (son siège est à Bruxelles), a été développée pour mettre en place une plateforme de communications devant effectuer des transactions financières internationales sécurisées. Ce n’est donc pas un système de paiement, mais une plateforme de communications.
Lorsque la guerre en Ukraine a été déclenchée par le président russe Vladimir Poutine, l’existence de SWIFT a été révélée au grand public, car un grand nombre de banques russes en ont été exclues. Du jour au lendemain, les citoyens russes ne pouvaient plus se servir de leur carte de crédit hors des frontières de la Russie. Inversement, les voyageurs séjournant dans le pays de Tchaïkovski ne pouvaient plus y utiliser leur carte de crédit. L’exclusion touche également les échanges commerciaux entre la Russie et le reste du monde.
Dans ce contexte, Coopoint a interrogé Pascal Bédard, maître d’enseignement au département d’économie appliquée de HEC Montréal, pour faire la lumière sur cette coopérative d’envergure mondiale, sorte de « réseau social » sécurisé pour institutions financières. Depuis quelques années, en moyenne, 42 millions de messages transitent quotidiennement par cette plateforme.
Coopoint : Qu’est-ce que SWIFT ?
Pascal Bédard : SWIFT est un réseau de transactions sécurisées internationales, qui est devenu la référence pour les transferts entre institutions financières. Chacune d’elles se fait identifier de manière unique par ce système de messagerie. Cela permet les transferts d’argent et les transactions d’actifs financiers entre institutions. Le tout est fait de manière sécuritaire ainsi que standardisée et vise à ce qu’il y ait plus d’efficience dans les transferts internationaux.
Coopoint : Pourquoi SWIFT est-elle une coopérative ?
Pascal Bédard : C’est pour la neutralité ! Tout a commencé entre des institutions financières de pays européens ; le réseau s’est ensuite développé à l’échelle planétaire. La standardisation a attiré d’autres membres puisque, en intégrant le système, il n’était plus nécessaire de faire du gré et gré ainsi que des contrats au cas par cas. D’ailleurs, c’est aussi une coopérative dans le sens où il n’y a pas de profit envisagé avec la plateforme SWIFT.
Coopoint : Qu’est-ce qui permet son développement ?
Pascal Bédard : La coopérative regroupe aujourd’hui plus 11 000 membres [dans plus de 200 pays et territoires], qui paient tous des cotisations pour en faire partie. Ces cotisations permettent de financer la recherche et le développement du réseau. La technologie derrière celui-ci est d’ailleurs très complexe. Elle requiert des infrastructures physiques élaborées et plusieurs employés spécialisés, comme des programmeurs-analystes ou des gestionnaires. Il y a donc des coûts considérables, mais qui s’avèrent relativement faibles une fois appliqués à l’ensemble du réseau.
Coopoint : Comment la sécurité y est-elle renforcée ?
Pascal Bédard : Il y a un contrôle assez serré des 10 banques centrales du G10 (Allemagne, Belgique, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse). Les banques centrales de ces pays supervisent SWIFT parce qu’elles ont intérêt à ce que le système interbancaire international fonctionne bien. Que ce soit notamment très sécuritaire et non corrompu. Des montants astronomiques sont transférés par SWIFT. Ce dernier ne doit absolument pas être piraté !
Coopoint : Est-ce que les institutions financières peuvent être sanctionnées ?
Pascal Bédard : Les banques centrales du G10 peuvent sanctionner des institutions financières en les sortant du système SWIFT. Ces banques évaluent s’il est légitime ou non de punir certains membres en raison, par exemple, des actions de leur gouvernement. À noter que ce ne sont pas des pays qui sont expulsés de SWIFT, puisque ce ne sont pas eux qui en sont membres. Toutefois, les impacts économiques sur un pays peuvent être énormes si ses institutions financières, même s’il ne s’agit que de quelques-unes, sortent du réseau. Lorsqu’un pays a besoin d’importer ou même d’exporter des ressources et que ses institutions financières sont mises à la porte de SWIFT, les paiements internationaux deviennent beaucoup plus compliqués. Cela est tout de même possible, mais on revient à l’époque d’avant SWIFT, technologiquement beaucoup moins perfectionnée !
Dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne déclenchée en 2022, plusieurs banques russes ont été exclues de la plateforme SWIFT. Selon l’Union européenne, cette sanction économique a visé environ 70 % du secteur bancaire de la Russie. Normalement, environ 300 banques russes utilisent SWIFT. L’Allemagne, le Canada, l’Union européenne, les États-Unis, la France, l’Italie ainsi que le Royaume-Uni ont soutenu cette importante sanction économique.
L’exclusion de SWIFT fait mal à la Russie, car la plus grande partie des paiements effectués par les échanges commerciaux planétaires transitent par ce système, notamment la vente et l’achat de ressources naturelles ou de biens. Malgré tout, la Russie peut remplacer SWIFT par d’autres technologies, comme le téléphone, le télex, le courriel et même le fax.